L’Allemagne a dévoilé son premier déficit commercial depuis trente ans et envisage d’aider les entreprises du secteur énergétique, comme Uniper, qui subissent de plein fouet la guerre en Ukraine. Une mobilisation qui repose la question de la souveraineté énergétique de l’Europe souligne Philippe Escande, éditorialiste économique au « Monde ».
Le tocsin sonne à toute volée dans les villes et les campagnes allemandes en ce début d’été. Toute une prospérité construite sur une énergie à bas coût est en train de partir en fumée. Pour la première fois depuis 1991, la balance commerciale du pays, fierté nationale, a plongé dans le rouge en mai, et le gouvernement devrait soumettre cette semaine au Parlement une loi l’autorisant à venir au secours des entreprises énergétiques du pays. Au premier rang desquelles figure la société Uniper, l’un des principaux importateurs de gaz outre-Rhin. L’Etat pourrait lui avancer près de 9 milliards d’euros et entrer à son capital, comme il l’a fait avec Lufthansa au plus fort de la crise sanitaire.
Ne nous trompons pas, comme l’a affirmé ce dimanche, le ministre de l’économie, l’écologiste Robert Habeck : « Nous ne sommes pas face à des décisions erratiques mais face à une guerre économique complètement rationnelle et très claire. » Face à la hausse des prix et à la baisse des livraisons, il parle ouvertement de rationner l’énergie. Du jamais-vu depuis la seconde guerre mondiale.
Avec son déficit commercial de près de 85 milliards d’euros (hors services), la France est évidemment mal placée pour donner le moindre conseil, et encore moins pour se réjouir de la situation, l’Allemagne étant son premier partenaire. Sur les douze derniers mois, Berlin enregistre encore un excédent de plus de 170 milliards, mais la tendance n’est pas bonne. En mai, les ventes à l’étranger ont baissé de 0,5 % quand les importations ont augmenté de 2,7 %. Le premier coupable est bien sûr l’inflation, avec des prix des importations en hausse de 30 % en mai sur un an, alors que le prix des exportations n’a progressé que de 16 %.
Talon d’Achille
Cœur vibrant de la mondialisation heureuse avec ses chaînes logistiques sophistiquées à l’extrême, l’Allemagne apparaît comme la première victime de la nouvelle donne actuelle. Son modèle reposait sur un gaz russe à bon marché, une organisation industrielle au cordeau et des débouchés chinois sans limite. Ces trois machines bien huilées se grippent d’un coup avec la guerre en Ukraine, le chaos logistique et les confinements en Chine.
Premier constat de court terme : les sanctions européennes n’ont non seulement pas mis à genoux la Russie, mais ont abouti à l’effet inverse.