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Pourquoi l’embargo saoudien contre le Qatar a fait un flop

Le petit émirat tient tête à Riyad depuis 17 mois, grâce à ses fabuleux revenus gaziers et à la souplesse des marchés internationaux de produits de consommation.

A en croire les Qataris, l’embargo imposé par leurs voisins a tellement de conséquences positives qu’on serait tenté de leur conseiller d’en susciter d’autres…

Un cas sans équivalent

Le minuscule mais richissime émirat (350.000 ressortissants, PIB par habitant de 128.000 dollars, record du monde) tient tête efficacement à cette Arabie Saoudite sur la sellette aujourd’hui suite à l’affaire Khashoggi. Le 6 juin 2017, Riyad avait imposé, avec Le Caire, Bahreïn et Abou-Dhabi, un embargo aérien, terrestre et naval total sur Doha, pour cause de divergences géostratégiques. Un cas d’une ampleur sans équivalent au monde depuis un demi-siècle. Au point que les Qataris parlent de blocus, terme toutefois inexact puisque l’armée saoudienne n’intercepte pas les avions et navires turcs, iraniens ou européens approvisionnant désormais l’émirat.

Ce sont ces navires et avions qui ont permis au Qatar, après quelques jours de  sidération , de remplacer les produits acheminés jusque-là quasi exclusivement depuis Riyad, seul lien terrestre avec la péninsule, ou du port de Dubaï. A été instauré un pont aérien spectaculaire, qui a notamment acheminé 4.000 vaches laitières australiennes. « Nous avons mis deux mois pour installer de nouveaux circuits commerciaux et logistiques en appliquant simplement des plans de précaution prévus pour d’autres crises », explique le secrétaire d’Etat à l’Economie, Aziz Ahmed Aluthman.

Les produits de consommation viennent désormais directement du Maghreb, d’Europe, de Turquie, d’Iran ou d’Inde. Sans susciter d’inflation, insistent les Qataris, qui affirment avoir découvert à cette occasion que les grossistes saoudiens « margeaient » énormément. Les prix relevés dans un supermarché de Doha sont en tout cas du même niveau qu’en Europe.

Un prétexte pour les réformes

Le Qatar a pu compter sur son Port Hammad, devenu opérationnel juste avant l’embargo. Et a profité de la souplesse des grossistes internationaux. « Les machines outils et matériaux de base sont facilement disponibles sur le marché mondial », explique Philippe Tavernier, patron de la filiale locale de Vinci, « et il existe deux cimenteries nationales ». Doha s’est d’ailleurs mis à  subventionner l a petite industrie locale et a cessé d’hésiter sur des  réformes, afin d’attirer les investisseurs étrangers. Ceux-ci ne seront bientôt plus obligés d’être associés à 51 % avec un partenaire local.

L’émirat a profité aussi de ce que l’intégralité de ses exportations et les deux tiers de son PIB proviennent du  gaz, incontournable source d’électricité. A tel point qu’Abou Dhabi a fait une exception à son embargo pour continuer d’importer son gaz de Doha… L’économie dispose aussi du moteur des chantiers d’infrastructures destinés à doter l’émirat de secteurs de santé et d’enseignement d’excellence, sans oublier les huit stades de la Coupe du monde 2022 et les tours des quartiers d’affaires. Qui semblent toutefois peu peuplées, au risque d’une bulle : « C’est une politique économique de l’offre », reconnaît pudiquement un homme d’affaires…

Retour à la normale

C’est sur le plan bancaire que l’embargo a fait tanguer l’émirat, avec des retraits de 20 milliards de dollars en une semaine, qui a obligé Doha à rapatrier le double de ses propres placements à l’étranger. Les agences de notation ont placé la note AA- de la dette qatarie en perspective négative mais ont rétabli la perspective stable récemment.

« Nous sommes plus ouverts et connectés qu’avant », ajoute Lolwah El Khater, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, qui cite la suspension de visas préalables pour les touristes de 88 pays. L’embargo laisse aux Qataris une impression de gâchis humain, puisque les pays voisins interdisent à leurs ressortissants de venir voir leurs proches dans l’émirat. « La crise a déstabilisé le Conseil de coopération du Golfe persique, ajoute Aziz Ahmed Aluthman, pourtant indispensable dans une région à la culture politique sanguine ».

Yves Bourdillon
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